Deux types d’offres sont aujourd’hui principalement dans le viseur des professionnels de santé et des associations de patients : les compléments alimentaires et les applications mobiles. Si dans un contexte où l’offre de soin est souvent encore insuffisante, ils apparaissent comme séduisants, s’affichant comme des alternatives à des méthodes plus conventionnelles, il n’en reste pas moins que la prudence s’impose. Explications.
Les compléments alimentaires à l’épreuve de la méthode scientifique
Depuis quelques années, des compléments alimentaires contenant du safran ainsi que des précurseurs d’acides aminés (L-Tyrosine, Choline, etc.) sont mis en avant par certains laboratoires spécialisés en produits dits « naturels » comme des alternatives au méthylphénidate (Ritaline, Medikinet, etc). Pourtant, à ce jour, les experts sont formels : en se basant sur des approches ayant une méthodologie rigoureuse, seuls les traitements médicamenteux ont montré leur efficacité sur les principaux symptômes du TDAH [1] .
« Il n’existe aucune preuve d’efficacité des compléments alimentaires à part peut-être des oméga-3 qui pourraient avoir un très faible effet » pose Sébastien Weibel. « Je crois que si l’on veut résumer, on peut affirmer que les compléments alimentaires ne sauraient être recommandés comme traitement standard car il n’y a pas de preuves de leur efficacité, même s’ils peuvent parfois être efficaces dans certains cas individuels. » renchérit Samuele Cortese, neuropsychiatre spécialiste du TDAH, professeur à l’université de Southampton.
Pour comprendre comment les spécialistes du TDAH peuvent se montrer aussi affirmatifs, il faut comprendre comment se fait la recherche scientifique attachée à évaluer l’efficacité des traitements de manière objective en écartant les biais et les effets attribuables à la désirabilité et au placebo. « La manière standard d’évaluer un traitement quel qu’il soit est en premier lieu de mener un essai randomisé contrôlé » explique Samuele Cortese. Prenons un exemple avec le safran. Il s’agit de constituer aléatoirement deux groupes de personnes présentant un TDAH. Le premier groupe se voit administrer du safran, l’autre, appelé « groupe contrôle » reçoit un placebo ou un traitement à l’efficacité déjà connue. Puis, les chercheurs observent si les symptômes et la qualité de vie des personnes qui ont pris du safran s’améliorent par rapport à ceux qui n’en n’ont pas reçu. Si amélioration il y a, c’est que le safran peut présenter une certaine efficacité. Une étude iranienne portant sur 54 patients, parue en 2019, avait ainsi mis en avant une efficacité - ce qui a lancé la mode…
Mais, une étude unique, qui peut présenter des limites et des biais ne suffit pas pour recommander un traitement. « Pour une même molécule, on peut parfois se retrouver avec des études randomisées [2] qui montrent une efficacité et d’autres qui n’en montrent pas » signale Samuele Cortese qui met en garde contre la tentation de tirer des conclusions d’une étude isolée. Afin de tirer les choses au clair, les scientifiques ont recours à ce que l’on appelle les méta-analyses. Celles-ci visent à synthétiser les résultats de plusieurs études correctement menées afin de tirer une conclusion sûre. Aujourd’hui, leur conclusion est claire : les compléments alimentaires, comme le safran, ne passent pas le crible de la méthode scientifique et c’est bien la raison pour laquelle leur prescription ne figure pas dans les recommandations de la HAS parues en septembre 2024.
Par ailleurs, il est à souligner que les compléments alimentaires à base de safran vendus dans le commerce ne sont en rien comparables aux médicaments des études. Ils ne sont pas soumis à la même règlementation que les médicaments pour leur fabrication et leur commercialisation.(2-4)
Mais, cela n’empêche pas les parents et les personnes concernées par le TDAH de parfois vouloir se tourner vers des produits dits « naturels ». Dans ce cas, le Pr Olivier Bonnot, Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent à l’Université Paris-Saclay & à l’Epsm Barthelemy Durand, invite à poser des questions à son médecin : « Parfois, les gens n’osent pas et c’est pourtant très important. Il faut qu’ils se sentent libres de demander pourquoi tel ou tel traitement est prescrit, les éventuels effets indésirables, les alternatives possibles … C’est notre rôle d’expliquer et de tenir compte des croyances, des convictions, des inquiétudes, des personnes en face de nous. »
Applications mobiles et poudre aux yeux numérique.
Plus difficiles à évaluer à l’aune d’essais randomisées, les applications mobiles destinées aux personnes vivant avec un TDAH comme « Liven : Building Habits », jouissent d’une forte visibilité sur les réseaux sociaux. Pourtant, malgré leur apparence de sérieux, elles suscitent la méfiance des professionnels. C’est d’abord leur porte d’entrée, par le biais de tests, qui fait tiquer les experts. « Ces tests qui prétendent avoir une valeur diagnostique ou, à tout le moins de dépistage, ne sont pas suffisamment validés pour être utilisés dans la pratique clinique » prévient Samuele Cortese rappelant que le diagnostic est avant tout clinique et doit être réalisé par un spécialiste du TDAH. De son côté, Sébastien Weibel met en garde contre l’effet barnum, c’est-à-dire la propension à se reconnaitre dans les énoncés d’un test pour en tirer une conclusion diagnostique : « Les questions du type « Avez-vous du mal à vous concentrer ? », « Avez-vous des difficultés à rester assis » … ne sont absolument pas spécifiques au TDAH. Il peut s’agir de symptômes de tout autre chose. » En effet, des difficultés d’attention peuvent, par exemple, aussi se retrouver dans la dépression ou le trouble anxieux.
Si ces applications captent l’attention par le biais de tests, une fois achetées et téléchargées, elles proposent des programmes d’exercices qui, eux aussi, éveillent la suspicion des professionnels de santé. « Ces applications prétendent par exemple augmenter les capacités de concentration. » explique Olivier Bonnot. « Mais il ne faut pas se leurrer : si vous effectuez un exercice plusieurs fois d’affilée, vous allez simplement améliorer votre compétence à effectuer cet exercice. Ce n’est ni généralisable, ni durable. Quand vous jouez à Tetris, vous ne faites qu’augmenter vos capacités à jouer à Tetris, cela ne fait pas de vous un constructeur en bâtiment. »
D’autres proposent également des méthodes pour mieux se concentrer. Là encore, leur efficacité dans le temps est plus que contestable et cela pour deux raisons. D’une part parce que les personnes qui vivent avec un TDAH ont un attrait pour la nouveauté et une intolérance à la routine : il y a peu de chance qu’ils utilisent leur application dans la durée. D’autre part parce que, comme le remarque Olivier Bonnot, « si elles permettent d’améliorer la concentration pendant qu’on les utilise, elles sont bien incapables de rééduquer les fonctions cognitives et attentionnelles. »
Aujourd’hui, faute d’évidences en faveur d’autres interventions thérapeutiques, le mieux est de s’en tenir aux traitements du TDAH validés scientifiquement et, à tout le moins, de ne pas les délaisser pour des alternatives qui n’en sont pas.