II) Structuration du parcours de soin de l’enfant à l’adulte
Étienne POT, délégué interministériel à la Stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement (TND), médecin de santé publique, addictologue
Nommé le 8 novembre 2023 en conseil des ministres, Délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement (autisme, dys, Tdah, Tdi). Le Délégué assure le pilotage de la mise en œuvre, au niveau interministériel et en lien constant avec les administrations déconcentrées (ARS, Rectorats, etc.), de la nouvelle stratégie nationale, en veillant à la prise en compte des besoins spécifiques aux personnes autistes, Dys, TDAH, TDI. Il garantit le recours régulier à l’expertise et l’expérience des usagers, des professionnels et des scientifiques, et coordonne le déploiement territorial de la stratégie.
Le TDAH est une réalité. J’entends certaines prises de parole publiques que je rejette avec force. Comment ignorer des troubles qui ont percuté tant de personnes, de parcours scolaires et étudiants, et de vies professionnelles ? Il est fort probable que nombre d’élèves identifiés comme des « cancres » aient été porteurs d’un TDAH. Selon la seule étude disponible en France, entre 3 et 6 % des enfants âgés de 6 à 12 ans seraient porteurs de TDAH. Il est crucial de réaliser des études épidémiologiques de qualité permettant de chiffrer plus précisément la prévalence des troubles du neurodéveloppement pour mieux structurer notre offre d’accompagnement et de soins. 3 % des adultes seraient également concernés. L’âge moyen du diagnostic se situe à 10 ans. Il est généralement établi lorsque les symptômes – le manque d’attention, l’hyperactivité et l’impulsivité – persistent pendant plus de six mois, affectant significativement la qualité de vie.
La stratégie nationale que je porte déploie un engagement autour de la recherche, car il reste encore beaucoup à découvrir sur le TDAH. Les études scientifiques ont permis d’identifier une composante génétique et des facteurs de risques, par ailleurs souvent communs avec les troubles du neurodéveloppement. Cependant, nous devons aller plus loin tant dans la description des troubles que dans la compréhension des facteurs de risque. L’enjeu n’est pas de trouver une cause, mais de déployer davantage de prévention pour les troubles du neurodéveloppement et de permettre à chaque personne concernée de vivre la vie la plus normale possible.
Je remercie les cinq centres d’excellence français de Paris, Tours, Lyon, Montpellier et Strasbourg, qui contribuent à cette recherche active. Le centre de Lyon poursuit ses travaux sur le TDAH et le sport, alors que celui de Tours analyse l’activité des plateformes de coordination et d’orientation. Les signes du TDAH sont majoritairement observés avant 12 ans, et ils sont plus fréquents chez les garçons que chez les filles. Le TDAH est difficile à repérer pour plusieurs raisons : les professionnels sont trop peu formés et les symptômes peuvent varier avec le temps, ce qui rend le diagnostic malaisé. Plusieurs troubles, des apprentissages, du comportement, la précocité intellectuelle, l’anxiété et la dépression, peuvent être associés au TDAH.
La stratégie nationale accorde une importance toute particulière au dépistage et au diagnostic précoce de l’ensemble des troubles du neurodéveloppement. Les plateformes de coordination et d’orientation de 0 à 6 ans ont permis de dépister plus de 70 000 enfants. Nous poursuivons également le déploiement des plateformes concernant les enfants de 7-12 ans dans le pays.
Ces plateformes permettent à tous les enfants de bénéficier d’un accompagnement et d’un accès au diagnostic. Il convient cependant de mesurer l’éclatement de notre offre diagnostique. Chez l’enfant d’abord, il alourdit la charge mentale de milliers de familles par la multiplicité des interlocuteurs et organismes (PCO, CAS, CFPP, centres experts, services de pédopsychiatrie, CMP) avec lesquels elles doivent entrer en relation. L’État devra progressivement simplifier cette offre diagnostique et la rendre plus lisible. Une première étape sera celle du service de repérage, de diagnostic et d’intervention précoce pour les 0-6 ans qui permettra d’afficher une bannière claire et unique à destination de l’ensemble des familles. Plusieurs mesures spécifiques au TDAH ont été mises en place dans cette stratégie, notamment la mesure 19, qui vise à garantir l’accès aux thérapeutiques et aux accompagnements adaptés pour les personnes avec un TDAH, et à créer une filière de soins dédiée. Cet enjeu est considérable.
Je tiens à vous remercier, vous tous, représentants des associations, et l’ensemble des acteurs présents dans le groupe de travail sur cette thématique, de traiter pleinement cet enjeu de simplification. Chez l’adulte également, les acteurs sont multiples, de même que les centres de ressources (CMP, CRTLA, services hospitaliers spécialisés, etc.). On peut également citer les médecins généralistes en ligne 1 ; les CMP en ligne 2, auxquels nous avons demandé de décrire plus en détail la façon dont ils voient leur rôle dans le champ des troubles du neurodéveloppement ; et les existants dans le champ de l’autisme en ligne 3.
Nous devrons réfléchir sur deux sujets : la structuration par ligne d’une part, et la répartition de l’expertise dans le champ du TDAH dans notre pays. Repartons du besoin des personnes concernées et des familles : l’enjeu n’est-il pas de savoir qui peut poser un diagnostic simple et qui peut poser un diagnostic complexe ? Telles sont les deux lignes que je perçois. Sur les territoires, le problème se pose de façon beaucoup plus simple : y a-t-il un médecin généraliste pour me recevoir ? Y a-t-il un médecin spécialiste du TDAH pour me rencontrer ? Sinon, quelle est la place des équipes mobiles et de la télémédecine ? La formation des médecins sur les territoires les moins dotés est bien entendu un enjeu.
Depuis février 2024, un travail important a été initié pour organiser et animer la filière TDAH autour de structures expertes. Ce travail a abouti à la constitution d’un groupe réunissant des praticiens, des universitaires et des associations représentatives, et à l’élaboration d’un cahier des charges visant la labellisation de structures existantes. Cela évitera notamment la création de nouvelles structures qui pourraient créer de nouveaux silos. Certains redoutent peut-être un accompagnement du TDAH trop médico-centré. Il conviendra d’avancer sur ce sujet en mobilisant davantage de professionnels de plusieurs domaines : les infirmiers, les infirmiers de pratique avancée, les psychologues, les neuropsychologues et les orthophonistes notamment.
L’enjeu crucial tant pour l’enfant que pour l’adulte est le premier repérage. Est-ce uniquement l’affaire du médecin généraliste ou du médecin scolaire ? Ce sujet concerne aussi les parents. Je crois que tout le monde doit pouvoir monter en compétence dans le repérage afin de mener au diagnostic.
L’accès au traitement est un deuxième enjeu majeur. Les médicaments tels que le méthylphénidate ne sont recommandés qu’en cas d’échec d’un certain nombre de mesures d’accompagnement chez l’enfant de plus de 6 ans. Pour autant, ces molécules sont aujourd’hui insuffisamment prescrites dans notre pays, justifiant une réflexion sur l’élargissement de la primo-prescription à d’autres spécialités que les psychiatres. L’enjeu est discuté avec l’ensemble des professionnels et des experts de la filière et avec l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Il nécessite concomitamment une vigilance accrue pour limiter au maximum les tensions sur les approvisionnements.
S’agissant de l’école, je sais à quel point la scolarité des enfants TDAH peut représenter une difficulté à la fois pour eux-mêmes et pour leurs parents. Les difficultés peuvent majorer les troubles anxieux chez de nombreux élèves. Or, si l’école progresse dans l’accueil des enfants en situation de handicap, elle a encore beaucoup à faire. Sur ce point, je souhaite porter un message d’apaisement : tous les enfants ont leur place à l’école, entourés d’enseignants et d’AESH formés, en collaboration avec les équipes médico-sociales, en vue de renforcer les processus d’apprentissage. Ce sera la clé de la réussite.
L’enjeu de ces prochains mois sera de parvenir à former et à sensibiliser davantage les enseignants comme les professionnels de santé du médico-social. Grâce à des mesures d’accompagnement et de soins adaptés, la plupart des enfants pourront accéder à l’université et s’épanouir dans leur vie professionnelle. Néanmoins, un grand nombre d’enfants continuent de grandir avec des difficultés, en raison du manque d’un accompagnement adéquat et d’un diagnostic précoce insuffisant. Certains seront plus exposés aux addictions, tandis que d’autres pourraient faire face à des problèmes juridiques. Il est impératif de sensibiliser davantage les professionnels, notamment ceux travaillant dans les domaines de la police, de la justice, de la santé mentale et des addictions.
Je travaille ainsi avec les différents ministères afin d’élaborer des modules de sensibilisation à destination de l’ensemble de ces catégories professionnelles. Notre objectif est de pouvoir diagnostiquer toujours plus, même tardivement, afin de modifier durablement des parcours de vie. Tel est le sens de cette journée, tournée vers l’avenir, pour que les personnes porteuses d’un TDAH puissent vivre selon leurs souhaits et montrer ainsi que notre pays ressort grandi de cette acceptation de la différence.