L’association

Réponse aux Pharisiens et aux Ecclésiastes Pierre Laporte, le 05 / 03 / 06

, par Pierre Laporte

Dieu est mort !

Par cette apostrophe, Nietzsche voulait avertir la face du Monde que toute idéologie dogmatique devrait être Morte.

Apostrophe post - humienne s’il en est une erreur de l’entendement.

Kant ne nous a-t-il pas suffisamment averti que si, au plan transcendantal, tout objet de connaissance est déterminé a priori par la nature même de notre faculté de connaître, cela « ne signifie pas ce qui dépasse toute expérience, mais ce qui, à vrai dire, la précède (a priori) à cette seule fin de rendre possible exclusivement la connaissance expérimentale » ( prolégomènes, p. 170 ).

L’histoire des Idées et l’histoire des Sciences sont ainsi pavées de fausses controverses masquant des dogmatismes idéologiques s’affrontant de façon aussi sectaire qu’obscurantiste.

Une réelle controverse est un dialogue des idées tel qu’il se pratiquait à l’Académie ou au Lycée.

Notre civilisation universitaire contemporaine est retombée dans les pires errances d’un médiévalisme sectaire (hormis quelques esprits éclairés qui ont préparé la Renaissance) ignorant tout de l’algèbre arabe comme de l’astronomie.

Ainsi en va-t-il actuellement du conflit entre sciences humaines et neurosciences : les étendards de la défense de la souffrance du sujet psychodynamique et de son écoute sont brandis contre les interprétés étendards standard d’une normalisation neuropsychique brisant toute prétention de liberté d’être.

Il serait drôle, s’il n’y avait pas eu tant de souffrance et de désespérance l’accompagnant, de constater que ceux là même qui, aujourd’hui, sont les ardents défenseurs de la prise en compte de la souffrance psychique humaine, ont été ceux qui ont mis au banc des accusés ces mères au dit « profil toxique », qui était dit si caractéristique, des enfants autistes ; sont encore ceux qui affirment que la dyslexie est l’expression d’un blocage, ou d’une souffrance, psychodynamique, exprimant une problématique affectivo-relationnelle ; sont encore ceux pour qui point de salut en dehors de la Voie Royale et son ostraciste appareil théorico-clinique etc…..etc….

Mais les mêmes travers dogmatiques, tout aussi ostracistes, existent en version neuronal, ou neurosciences, cette fois, et ce n’est guère plus heuristique.

Il est temps de concevoir que l’être humain n’est ni un pur Esprit, ni un pur Neuronal !

Il est la résultante, en perpétuelle modification, évolution, d’une perpétuelle interaction intégrative entre ce qu’il a été et ce qu’il est en train de devenir via la plasticité cérébrale couplant Esprit et Matière.

Le déterminisme est bicéphale et les fibres de connexion réciproques les mettent perpétuellement en relation interactive - intégrative.

Il est dès lors tout aussi dangereux de prétendre prédire l’avenir adulte d’un sujet à partir de ce qu’il est en ses trois premières années, et ultérieures de la même façon ( tout ne se joue pas avant 6 ans…… un Sujet est un Sujet toujours susceptible de perfectibilité au sens perceptif, affectif, cognitif, moral et éthique de l’universalité humaine ), que de nier l’existence de troubles précoces nécessitant une intervention de soins, tout aussi précoce.

Bien entendu, tous les protagonistes vont tomber d’accord là-dessus. Cela en dit long sur l’origine de leur « controverse » ………..

Le cerveau humain est considéré de nos jours comme le système complexe peut-être le plus complexe de l’Univers connu, peut-être la dernière frontière… de la connaissance humaine…

Vous me permettrez de reprendre ici ce que je disais en 2002 à Repentigny lors d’une conférence donnée pour l’association PANDA :

« Le développement du cerveau depuis la vie intra-utérine jusqu’à la mort au grand âge du sujet est le fruit d’une intégration constante des relations entre un précablage génétiquement déterminé et les stimuli en provenance de l’environnement physique et humain, lesquels sculptent la microarchitectonie dendritique et synaptique neuronale en constituant en son sein la connectivité des différents réseaux neuronaux traitant en parallèle et communication intégrative ces informations en provenance de l’environnement. Sans le précablage génétiquement déterminé, cette action microarchitecturale des stimuli en provenance de l’environnement n’aurait aucun effet, comme le précablage serait inerte et impuissant sans l’intervention des stimuli en provenance de l’environnement qui lui donnent sa connectivité fonctionnelle vitale. Il ne s’agit donc pas d’une interaction entre cerveau et environnement, mais bien d’une co-construction anatomo-fonctionnelle intégrative « cerveau-environnement ».

Il n’y a donc ni monisme réducteur, organiciste comme psychologiste, ni dualisme structuro-fonctionnel, mais bien co-construction intégrative dépassant les traditionnelles et archétypales dualités.

Il s’agit bien de penser d’emblée la complexité comme constitutive.

Depuis quelques années déjà, ce système complexe fractal non-linéaire ne nous semble plus permettre de penser les relations cerveau - esprit en terme de monisme réducteur ou de dualisme conçu bipolaire interactif. En effet, plusieurs résultats, dont ceux obtenus en imagerie cérébrale fonctionnelle, nous amènent à concevoir que la pensée est une propriété émergente du fonctionnement d’un ensemble de réseaux neuronaux « travaillant » simultanément en parallèle et communication intégrative.

John R. Searle en 1996, dans un article fameux « Deux biologistes et un physicien en quête de l’âme », ( in traduction française, La Recherche, 287, mai 1996, pp. 62-77), analysant les positions respectives de Francis Crick (in traduction française L’hypothèse stupéfiante : à la recherche scientifique de l’âme, Plon, 1995), Roger Penrose (in trad. fr. Les ombres de l’esprit, Interéditions, 1995) et Gerald Edelman (in trad. fr. Biologie de la conscience, O. Jacob,1992), avait ainsi posé les prolégomènes à toute discussion suivants : « le cerveau est un organe comme un autre : c’est une machine organique. La conscience est causée par des processus neuronaux de niveau inférieur du cerveau et est, elle-même, un trait du cerveau. Comme il s’agit d’un trait qui résulte de certaines activités neuronales, nous pouvons la considérer comme un trait émergent du cerveau . (…)Une propriété émergente d’un système est une propriété s’expliquant par le comportement des éléments de ce système mais qui n’appartient en propre à aucun des éléments particuliers de ce système et ne peut s’expliquer simplement comme la somme des propriétés des éléments du système. La liquidité de l’eau est un bon exemple : c’est en effet le comportement des molécules d’H2O qui explique la liquidité de l’eau, mais, individuellement, ces molécules ne sont pas liquides ». Ainsi, « toutes nos expériences conscientes s’expliquent par le comportement des neurones et sont elles-mêmes des propriétés émergentes du système de neurones ». C’est là une position qui exprime bien celle de G. Edelman dont elle s’inspire fortement.

Ces prolégomènes viennent de trouver un statut de données expérimentales corroborantes en imagerie cérébrale fonctionnelle ayant permis de montrer que « la pensée libre est caractérisée par un réseau neural fronto-pariétal d’aires hétéromodales intégratives. Ces données, qui sont les premières chez l’homme sain, permettent de conforter les théories matérialistes de l’esprit . Leur confrontation avec des données électrophysiologiques et neurochimiques sera cependant nécessaire pour réellement comprendre les mécanismes qui créent les phénomènes conscients » (Bernard Mazoyer, Cerveau et psychologie : introduction à l’imagerie cérébrale anatomique et fonctionnelle, 2002, P.U.F., p. 604). C’est que reste en effet cette question essentielle, ainsi formulée par J. R. Searle dans son article cité (1996, p.77) : « comment les processus neurobiologiques causent les états mentaux et de conscience ? ». C’est-à-dire comment passer de toutes ces structures et de leurs diverses fonctions aux états qualitatifs mentaux et de conscience que nous connaissons et que certains philosophes appellent les qualia ? Quelles sont les caractéristiques anatomiques et physiologiques du cerveau qui causent la conscience et quelles caractéristiques spécifiques causent quels types d’états conscients ?

Ainsi le Secret de l’Esprit n’est pas pour autant encore percé comme le rocher de la pointe extrême de Gaspésie face aux immensités océanes mystérieuses du soleil levant, l’au-delà des Terres et des Eaux pour les peuples Amérindiens (« Gaspé » vient du toponyme Micmac « Gespeg » : « Là où les terres se finissent » et l’Université de Salamanque en 1492 y était impuissante et Voltaire bien mal inspiré en 1762…), mais…

Vous comprenez aisément les angoisses métaphysiques que les recherches sur la connaissance de ce système complexe cérébral dans un tel paradigme, soulèvent. Et combien plus encore d’effroi lorsque ces recherches débouchent sur des modes d’intervention y étant relatifs.

C’est que le changement de paradigme scientifique le concernant avec les nouvelles conceptions de sa nature et de son fonctionnement engendrant, pour certains théoriciens, l’émergence de l’esprit, a pour effet majeur fondamental de réactiver, ici aussi, la résurgence des représentations archétypales dont la tête et son cerveau font l’objet de tout temps, représentations archétypales brandies à la face du monde comme pour exorciser la fantasmatique menace d’anéantissement de l’esprit s’il advenait que l’on en connaisse la matérialité de sa nature.

Surgit alors de toute part, l’effroi…

Rappelez - vous… au cœur d’une représentation archétypale du Cycle l’enracinant dans le symbole de l’Origine à ne point perdre en soi, individuellement, socialement et culturellement, sous peine de mort éternelle dans les eaux du Léthé… ( G. Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, 1969, Paris : Bordas).

L’effroi de l’ensevelissement éternel de l’esprit…

Götterdämmerung … Le Crépuscule des Dieux, dernier acte du RING, l’Anneau du Nibelung…. L’Anneau maléfique du nain Alberich donnant la Puissance Universelle et la Mort tout aussi vite…. le Seigneur des Anneaux de Tolkien… comme l’égyptienne Porte des étoiles…

Légendes, mythologies, représentations archétypales, sociologie historique et science-fiction… se rejoignent ici…Suivons une nouvelle fois Gilbert Durand dans son étude des structures anthropologiques de l’imaginaire 😊.. « On peut se demander si ce n’est point jouer sur les mots que de faire suivre l’étude de l’archétype du souverain monarque, du chef politique, par celle du chef en son acception anatomique et occipitale. (« se couvrir le chef » dit-on en certaines régions de France, pour mettre un chapeau, me permettrai-je d’ajouter…). Si les schèmes verticalisants aboutissent sur le plan du macrocosme social aux archétypes monarchiques comme ils aboutissent dans le macrocosme naturel à la valorisation du ciel et des sommets, nous allons constater que dans le microcosme du corps humain ou animal, la verticalisation induit plusieurs fixations symboliques dont la tête n’est pas la moindre. Les mystiques de l’ascension céleste assimilent tout naturellement la tête à la sphère céleste dont les yeux sont les luminaires (voir notamment Hildegard von Bingen) et, pour la tradition védique et boudhique, la colonne vertébrale est identifiée au Mont Mérou, l’axe du monde. Il y a, comme le note Bachelard, glissement de la verticalité à la vertébralité.. L’ethnographie enfin a souligné l’importance, dans le temps comme dans l’espace du culte des crânes. (…). Les Bambara ont bien mis en lumière le sens général de cette symbolique du crâne dans leur cosmologie : la tête est à la fois le signe, le résumé abstrait de la personne, et également le bourgeon par lequel l’individu croît en âge comme en sagesse » (pp 156-158).

Ces représentations archétypales sous-tendent alors La Grande Frayeur que l’on sombre dans les errances d’un matérialisme réducteur éliminant l’Esprit, la nature spirituelle de la Psyché des Grecs, sa dimension Sacrée. C’est pourquoi, dès que l’on aborde cette question de la nature de la pensée dans ses rapports avec le cerveau, donc la matière, l’on se heurte de plein fouet à des peurs ancestrales si profondément enracinées depuis le plus profond des âges de l’humanité, si profondément enfouies au sein de notre inconscient collectif qu’expriment les archétypes examinés.

Déjà, en 1983, J.P. Changeux (dont nous ne suivons pas le réductionnisme neuronal) écrivait : « Les sciences de l’homme sont à la mode. On parle et on écrit beaucoup, que ce soit en psychologie, en linguistique ou en sociologie. L’impasse sur le cerveau est, à quelques exceptions près, totale. Ce n’est pas un hasard. L’enjeu paraît beaucoup trop important pour cela. (…). Peut-être craint-on que les tentatives d’explication biologique du psychisme ou de l’activité mentale ne tombent dans les pièges d’un réductionnisme simpliste ? Alors, on préfère déraciner les sciences humaines de leur terreau biologique. Conséquence surprenante : des disciplines au départ « physicalistes » comme la psychanalyse en sont venues à défendre, sur le plan pratique, le point de vue d’une autonomie quasi complète du psychisme, revenant à leur corps défendant au traditionnel clivage de l’âme et du corps. » ( L’homme neuronal, p. 8-9).

Ces propos sont toujours d’actualité comme le notent Olivier Houdé, Bernard Mazoyer et Nathalie Tzourio-Mazoyer dans leur ouvrage Cerveau et psychologie (2002) : « si la psychologie française du XXè siècle est bien devenue scientifique, il n’en reste pas moins que le dualisme cartésien entre l’esprit, même rebaptisé cognition, et la matière, corps et cerveau, a continué - et continue encore - de structurer profondément les pratiques scientifiques et pédagogiques. (…) A noter cependant que ce dualisme persistant, qui vient d’être dénoncé, n’est pas seulement le propre de la psychologie française. Il procède aussi, au niveau international, d’une stratégie délibérée : celle du cognitivisme.(…) C’est la doctrine fonctionnaliste (d’un Hilary Putnam) selon laquelle seules comptent la fonction cognitive, ou le logiciel, qu’on étudie et les interactions entre fonctions ; peu importent les structures, cérébrales ou électroniques, qui les sous-tendent. En bref, c’est l’éclipse du cerveau » (pp. 17-20).

J.P. Changeux poursuit (p.9) : « Le développement des recherches sur le système nerveux s’est toujours heurté, au cours de l’histoire, à de farouches obstacles idéologiques, à des peurs viscérales, à droite comme à gauche. Toute recherche qui, directement ou indirectement, touche à l’immatérialité de l’âme met la Foi en péril et est vouée au bûcher. On craint aussi l’impact sur le social des découvertes de la biologie qui, usurpées par certains, peuvent devenir des armes oppressives. Dans ces conditions, il apparaît plus prudent de trancher les liens profonds qui unissent le social au cérébral. (…). Alors décérébrons le social ! » … comme le sujet individuel !

Qu’y a-t-il donc pourtant à craindre ? : « (En) découvrant les secrets de l’esprit, nous le percevons comme l’ensemble de phénomènes biologiques le plus élaboré de la nature, et non plus comme un mystère insondable. (Pourtant) l’esprit survivra à l’explication de sa nature, tout comme le parfum de la rose continue d’embaumer, même si l’on en connaît la structure moléculaire » ( Antonio Damasio, article « La science en 2050 », p. 81 du numéro de janvier 2000 de « Pour la science », trad. fr. de Scientific American ). Cette connaissance moléculaire le composant n’a pas défloré le parfum de la rose… !

Comment voulez-vous dès lors qu’un tel paradigme ne soulève pas de telles peurs archaïques, ancestrales, du même ordre que celles ayant été jadis engendrées par le bouleversement des conceptions relatives aux relations de rotation entre la Terre et le Soleil… auxquelles se mêlait la lune ?……………

Dans la Nuit Obscure de la Connaissance des immensités glacées d’un Grand Nord axiologique, un albatros déploya ses immenses ailes traînant sur un sol jonché de débris rhétoriques et, aile après aile, prit un lent envol dans la Lumière… Celle d’un Occident se transmuant en Orient….. En une jubilation contemplative, il glissa le long de l’immense houle océane, épousant sa respiration profonde, celle de sa petite planète bleue……. La Terre. Cet albatros, c’est Vous ».

Pierre LAPORTE, Conférence PANDA, 12/03/2002, document diffusion autorisée Internet site PANDA, http://panda.cyberquebec.com. En conséquence, toute citation de ce texte doit comporter la mention de son origine et toute correspondance à son sujet peut être adressée à l’auteur : Pierre.Laporte@wanadoo.fr

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