L’association

Portrait d’HyperSupers - TDAH France

, par Madeleine Akrich, Vololona Rabeharisoa

Portrait d’HyperSupers

HyperSupers, entraide et politique

HyperSupers est une association de personnes concernées par le trouble déficit d’attention/ hyperactivité (TDAH), qu’elles soient personnellement atteintes ou qu’elles soient des proches (parents généralement) de personnes atteintes. Elle a été fondée en 2002 par un groupe de parents qui se sont rencontrés sur le forum internet créé par une autre association, devenue inactive dans l’intervalle : confrontés à une même expérience qui mêle errance diagnostic, incompréhension de la part de l’entourage familial, médical, scolaire, ils veulent, au travers de l’association, aider les parents dans leurs démarches diagnostiques. Cependant, dès le début, l’entraide se double d’un deuxième objectif : agir auprès des institutions pour que le trouble soit connu, reconnu et correctement traité par l’école, les structures médico-sociales et éducatives, etc.

Permanences téléphoniques, réunions de parents, site web, forums de discussion sur internet, publications diverses, tels sont les principaux moyens mis en place pour assurer ces fonctions d’entraide. En parallèle, les mêmes bénévoles sont engagés dans des activités de terrain visant à sensibiliser les professionnels. Ils font de l’information dans les écoles auprès des enseignants et des médecins scolaires, essaient d’entrer en contact avec les spécialistes de la région de manière à améliorer la prise en charge des troubles, accompagnent les parents dans les démarches en rapport avec la scolarisation ; certains organisent des conférences pour le grand public, nouent des partenariats avec d’autres associations etc.

A côté de ces activités organisées localement, l’association déploie un certain nombre d’actions en direction des instances au niveau national : ses présidente et vice-présidente, accompagnées de quelques bénévoles prennent des contacts dans les ministères et siègent dans différentes commissions ; l’association obtient en 2008 l’agrément pour la représentation des usagers du système de santé dans les instances hospitalières ou de santé publique.

A chaque niveau donc, il existe une articulation entre la mission d’entraide et la mission politique que l’association s’est assignée : les actions sont à la fois dirigées vers les adhérents, voire le grand public, et vers les acteurs confrontés d’une manière ou d’une autre au TDAH, soignants, enseignants, administrations, chercheurs.

Le TDAH : un trouble complexe et multifactoriel qui appelle une prise en charge multimodale.

HyperSupers défend une conception du TDAH comme trouble du développement complexe et multifactoriel qui ne se laisse rabattre sur aucune dimension :

  • il n’est pas d’origine purement biologique, bien qu’il semble y avoir des facteurs de prédisposition ;
  • il n’est pas simplement neurologique, même si l’imagerie cérébrale révèle certaines particularités ;
  • ses manifestations sont liées à l’environnement – une adaptation des comportements de l’entourage et une pédagogie appropriée peuvent en réduire l’intensité ;
  • il peut se compliquer d’une dimension psychologique tant les difficultés rencontrées peuvent avoir un impact sur ce plan.

D’une certaine manière, HyperSupers renvoie dos à dos les différents spécialistes qui s’affrontent sur la définition de ce trouble et promeut l’idée d’une prise en charge multimodale personnalisée qui puisse associer en tant que de besoin les apports des différentes spécialités : médicament mais aussi orthophonie, thérapie cognitivo-comportementale, suivi psychologique, etc.

Comme on va le voir, une grande partie des activités publiques d’HyperSupers s’organise autour de la production et/ou de la diffusion de connaissances, qu’elles soient tirées de l’expérience des individus ou des travaux des chercheurs, pour faire exister le TDAH de la manière dont l’association le conçoit.

Une mise en valeur multiple de l’expérience des parents

Réunions, permanences téléphoniques, forums sont autant d’occasions pour les personnes concernées d’échanger sur leurs expériences : les phénomènes de reconnaissance mutuelle – « j’ai le même à la maison » – renforcent la conviction que le trouble est « réel », c’est-à-dire qu’il est causé en partie par des processus biologiques et non par le seul effet d’une mauvaise éducation. Cette expérience est mise en valeur de multiples manières par l’association pour faire avancer la cause du TDAH :

  • Un certain nombre de témoignages, souvent issus des discussions sur les forums sont proposés sur le site web : il s’agit de montrer au public, directement intéressé ou non, ce que cela veut dire de vivre avec le TDAH, quels sont les signes du trouble, à quels problèmes il expose et quelles solutions peuvent être envisagées.
  • Les activités de soutien telles « SOS rentrée scolaire » – une hotline spéciale pour aider les parents à cette période cruciale de l’année – sont utilisées comme des sources qui permettent d’identifier les problèmes et les documenter pour les porter à la connaissance des autorités compétentes.
  • Un certain nombre d’enquêtes ont été menées afin de produire une description systématique et chiffrée de ces difficultés : le contenu du bulletin d’adhésion à l’association qui comporte quelques informations intéressantes comme l’âge de la personne concernée par le TDAH a été exploité. Au delà, plusieurs questionnaires sur le web ont permis de collecter des données. Les derniers en date concernaient le parcours des familles : ce qui a motivé leur recherche d’un soutien médical, les différentes étapes et le temps nécessaire pour aboutir au diagnostic, les traitements et thérapies obtenus en bout de course. Les résultats de cette enquête, réalisée une première fois en 2009 puis étendue en 2011, ont été présentés en de multiples occasions, à l’assemblée générale de l’association, dans une grande conférence psychiatrique, lors d’une conférence internationale organisée par l’association dans le cadre de la semaine annuelle de sensibilisation au TDAH de l’association ADHD Europe et qui réunissait parents et professionnels, dans un groupe de travail lancé par le ministère de la santé sur les parcours de soins des enfants atteints de troubles spécifiques des apprentissages.

L’association joue donc ici un rôle de traduction et de médiation entre les familles concernées par le TDAH et les autres acteurs du domaine : elle collecte, met en forme, analyse leurs expériences afin de la porter à la connaissance des professionnels et des décideurs.

Explorer le TDAH : HyperSupers et les connaissances scientifiques

La littérature scientifique a toujours suscité l’intérêt de l’association, d’abord parce qu’elle permet d’avancer des arguments tangibles à ceux qui nient la réalité du TDAH comme trouble neurologique ou à ceux qui présentent la Ritaline© comme une drogue que des parents inconscients donnent à leurs enfants pour les faire tenir tranquilles. Ensuite, cette littérature est aussi une ressource interprétative pour les familles qui essaient de comprendre ce qui se passe : le savoir médical permet d’organiser ce qui reste difficile à exprimer compte tenu des interprétations antagoniques proposées par l’entourage, les médias ou même le corps médical. Enfin, il permet d’ouvrir de nouvelles options thérapeutiques pour un trouble aux multiples manifestations.

Pour toutes ces raisons, la présidente notamment assure une veille scientifique. La diffusion des connaissances auprès des parents fait l’objet là aussi d’un travail d’adaptation : peu d’articles originaux sont accessibles directement à partir du site ; en revanche, dès l’origine de l’association, les assemblées générales ont été couplées à des conférences de spécialistes. Ces conférences sont très diverses dans leur contenu : autour de la définition du trouble, de ses manifestations, sur des thérapies, sur d’autres troubles qui peuvent être associés ou non au TDAH (bipolaire, dyslexie par exemple), sur les conséquences scolaires des troubles et les moyens d’y remédier etc. Beaucoup de ces conférences font ensuite l’objet d’une présentation synthétique et pédagogique sur le site, sous la forme d’articles signés des spécialistes. Par ailleurs, faisant le pont entre connaissances savantes et connaissances issues de l’expérience, l’association a publié plusieurs livrets à destination des parents comme des enseignants, qui expliquent ce qu’est le TDAH et comment on peut en contenir les effets négatifs.

Parallèlement, sur le forum, des messages – émanant pour une petite moitié de la présidente et pour le reste de bénévoles ou de simples participants – signalent régulièrement la parution d’articles ou la tenue de conférences, la plupart portant sur les traitements et thérapies d’une part et d’autre part, sur les causes possibles du TDAH : il s’agit de donner des bases de connaissances, de faire connaître les derniers développements de la recherche qui peuvent avoir un impact sur la définition du trouble, de ses causes, comme de son traitement, plus rarement de donner quelques appuis à des parents pour faire valoir un point de vue face à un médecin.

L’attitude vis-à-vis de la science constituée présente deux caractéristiques principales :

  • elle est d’abord pragmatique : toutes les hypothèses sur le TDAH et son traitement valent la peine d’être envisagées, d’une maturation retardée du cerveau, en passant par le manque de ferritine, l’origine génétique, le syndrome des jambes sans repos, jusqu’au rôle des Omega 3 ;
  • elle se veut exigeante : la présidente notamment met en garde contre certaines études menées sur des échantillons trop faibles ou avec une méthodologie qui a été critiquée ; il ne s’agit pas d’écarter les hypothèses présentées une fois sur toutes, mais à l’inverse de plaider pour des études rigoureuses qui permettent d’arriver à une conclusion.

L’implication dans la recherche comme forme d’action politique

Ces dernières années, HyperSupers a développé une attitude plus proactive à l’égard de la recherche : en 2011, elle a organisé la première « Journée Ribot-Dugas », une journée entière consacrée à des présentations par des chercheurs et se clôturant sur la remise de prix. Sept chercheurs ont reçu un prix distinguant soit des travaux passés, soit un projet en développement. Le jury était composé de huit professionnels représentant différentes disciplines.

La conférence tout comme le choix des lauréats peuvent être interprétés comme un manifeste en faveur d’une recherche de qualité qui ne néglige aucun des aspects du TDAH : en effet, l’ensemble des participants représentait un large éventail de disciplines – psychiatrie, neurosciences, psychologie, nutrition, santé publique, neurologie … – comme de problèmes, du fonctionnement du cerveau à l’effet de certaines thérapies. Autrement dit, il s’agissait en quelque sorte de rendre réelle et réaliste une définition du TDAH qui soit en accord avec le point de vue d’HyperSupers, à savoir un trouble complexe, multifactoriel et appelant une prise en charge multimodale.

Le TDAH comme handicap cognitif : opérationnaliser la définition du trouble

Au delà de ce travail autour des connaissances médicales, HyperSupers, en relation avec d’autres associations concernées par les troubles d’apprentissage, a été partie prenante dans la promotion d’une nouvelle notion, celle de « handicap cognitif ». Au départ réticente, en raison du caractère jugé stigmatisant du terme « handicap », l’association s’est rendue compte que la notion de handicap pouvait être utilisée à l’inverse comme un levier pour mettre en place une série d’actions coordonnées, sur le plan médical, psychologique, pédagogique, permettant de créer les conditions de l’intégration : grâce à la loi sur le handicap de 2005, il devenait possible de rendre opérationnelle et « opposable », au système scolaire notamment, la définition du TDAH portée par HyperSupers.

Encore faut-il pour cela disposer d’une double expertise :

  • la première afin d’être capable de traduire le TDAH dans le langage du handicap, c’est-à-dire sous la forme de restrictions de participation à la vie en société, restrictions pour lesquels les professionnels des maisons départementales du handicap peuvent proposer des mesures de compensation : cette opération de traduction a été l’objet d’un groupe de travail auquel HyperSupers a participé et supposait au fond de décrire finement toutes les difficultés concrètes rencontrées par les personnes souffrant de TDAH et de les relier à la description du trouble. Autrement dit, l’association devait systématiser et rationaliser ses connaissances d’expérience et les mettre en relation avec des connaissances plus académiques, travail qu’un psychologue, membre du comité scientifique, a aidé à faire ;
  • la seconde afin d’être capable d’apporter aux parents la connaissance des dispositifs et la manière de les utiliser, ce qui est loin d’être simple : le forum a constitué un espace d’expérimentation collective dans lequel certains bénévoles eux-mêmes ont « testé » ces dispositifs et ont progressivement constitué cette expertise juridico-administrative.

Ce double défi, relevé par HyperSupers, lui permet de se positionner comme un acteur à part entière dans l’espace de production des connaissances autour du TDAH.

En guise de conclusion : retour sur la thèse de la médicalisation

En raison des incertitudes qui subsistent sur les causes précises et la nature du TDAH, ce trouble est l’objet de controverses : pour un certain nombre d’acteurs et d’analystes, le TDAH est le produit d’une organisation sociale qui, parce qu’elle soumet les enfants à des contraintes insupportables et des exigences trop importantes, génère mécaniquement une population d’inadaptés. La prescription de Ritaline© apparaît alors comme une camisole chimique permettant de soumettre les récalcitrants à l’ordre social : de leur point de vue, la médicalisation du TDAH entraîne une dépolitisation préjudiciable.

L’analyse du travail d’HyperSupers incline à adopter la thèse inverse : c’est au travers de la médicalisation que la question du TDAH devient politique.

D’abord, comme nous l’avons vu, médicaliser ne signifie pas que l’on écarte les causes « sociales » des difficultés rencontrées ou que l’on limite les traitements au médicament : les propositions auxquelles s’intéresse HyperSupers englobent toutes sortes de thérapies cognitives, comportementales, psychologiques, et au delà, des méthodes éducatives et pédagogiques adaptées. Les transformations visent non seulement les enfants eux-mêmes mais leur entourage qui doit devenir plus tolérant, plus patient, différemment attentif ; autrement dit, les différents acteurs sont renvoyés à leurs responsabilités et ne peuvent plus se contenter d’exclure les éléments gênants que sont les enfants TDAH.

Ensuite, la médicalisation telle que l’entend HyperSupers, loin de fermer le débat sur ce qu’est le TDAH, est un moyen d’entrer dans une exploration tous azimuts afin de faire progresser la compréhension du trouble. Au travers de sa politique vis-à-vis de la recherche, l’association se garde bien d’être à la remorque d’une théorie particulière mais, à l’inverse, entend stimuler la discussion et la formulation d’hypothèses nouvelles.

Enfin, la médicalisation a permis à HyperSupers d’entrer dans l’arène politique, de gagner une reconnaissance grâce à l’agrément du ministère de la santé, de siéger dans diverses commissions et notamment d’inscrire le TDAH dans l’espace du handicap.

P.-S.

Les auteurs Madeleine Akrich et Vololona Rabeharisoa, sociologues à l’école des Mines de Paris s’intéressent particulièrement à la manière dont les associations de patients et d’usagers organisent leurs actions pour contribuer à la diffusion de connaissances en matière de santé.

Voir également l’article présentant le projet EPOKS

Connaissances en Santé : le rôle des associations de patients en Europe

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