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Les interventions multidimensionnelles du TDAH : du cognitif au psychique Dr Michel BADER

, par Dr Michel BADER

Les interventions multidimensionnelles du TDAH : du cognitif au psychique

Dr Michel BADER

Psychiatre, privatdocent de la faculté de biologie et de médecine de l’université de Lausanne

Le TDAH est un trouble neuro-développemental survenant durant l’enfance, qui a tendance à persister pendant l’adolescence et l’âge adulte, entraînant des répercussions potentiellement durables dans plusieurs domaines de la vie. La triade symptomatique est bien connue : déficit d’attention, hyperactivité motrice, impulsivité. Il comporte une composante neuropsychologique : fonctions exécutives, inhibition des réponses. Parmi les symptômes associés figurent la fragilité des affects, l’intolérance aux frustrations et l’excitabilité. Le TDAH a pour conséquence les problèmes interpersonnels et la baisse de l’estime de soi.

Plus de 85 % des patients ont au moins un trouble associé et près de 60% des patients ont au moins deux troubles associés. Le trouble peut évoluer de deux manières principales : soit la triade symptomatique tend à décroître au fil de l’âge, soit les personnes continuent à présenter ces trois symptômes de manière très importante.

L’étiologie est multiple ; nous sommes confrontés cliniquement à une véritable imbrication de ces facteurs. Une approche multidimensionnelle est donc nécessaire : approches psychologiques, cognitives ou comportementales, psychodynamiques, approches alternatives comme les régimes alimentaires, et prises en charge spécifiques, par exemple pour la dépendance à l’alcool, la dysorthographie ou la dyslexie. La relation joue un rôle central dans les prises en charge des patients avec un TDAH et de leur entourage : derrière les organes et les fonctions, nous sommes confrontés à l’humain.

S’agissant des relations familiales, si les fonctions parentales ne semblent pas avoir un rôle étiologique direct dans le développement du TDAH, elles contribuent à l’expression des symptômes et au développement des troubles associés. Le TDAH entraîne souvent des relations parent-enfants conflictuelles qui contribue à une augmentation du stress des parents et des enfants. Sur la durée, les parents et les membres de la famille peuvent développer des stratégies contre-productives pour faire face à ces problèmes.

Dans notre pratique clinique, nous observons que les parents peuvent développer des comportements rigides et négatifs envers leur enfant avec un TDAH et être confrontés à des souffrances psychologiques, avec des troubles dépressifs, des doutes en leurs capacités parentales, des sentiments d’échec, de culpabilité et une réduction importante de la qualité de la vie de famille. Plusieurs études montrent l’impact positif des guidances de parents sur les comportements de certains enfants TDAH. Une autre piste intéressante est liée à la théorie de l’attachement, fondée sur l’intuition de John BOWLBY comme besoin relationnel primaire : suivre, s’accrocher, sourire sont des comportements faisant partie d’un répertoire destiné à maintenir la proximité et solliciter les soins de la mère. Les « comportements d’attachement » serviraient un but de protection et procureraient à l’enfant un sentiment de sécurité, qui lui permettra ensuite de partir à l’exploration du monde et finalement d’acquérir une certaine autonomie. Le point central de cette théorie est la notion de base « sécurisante ».

Mary AINSWORTH a mis en évidence quatre schèmes d’attachement : attachement sécure, anxieux-évitant, anxieux-ambivalent ou résistant. Le postulat est que les expériences des relations précoces parents-enfant constituent la base du sentiment de sécurité intérieure et de l’émergence de capacités d’autorégulation émotionnelle et comportementale. De nombreuses recherches montrent que la catégorisation de la qualité de l’attachement a un pouvoir prédictif important sur le développement ultérieur, par exemple en termes de socialisation de l’enfant, mais aussi vis-à-vis de ses capacités cognitives, d’attention et de contrôle émotionnel.
Les enfants avec un attachement sécure montrent des compétences plus élevées que les autres, alors que l’attachement insécure constitue un facteur de risque important concernant le développement ultérieur de psychopathologies (par exemple troubles externalisés ou conduites addictives) et des problèmes d’ajustement social. Ingeborg STIEFEL (1997) propose l’hypothèse d’une relation entre des défaillances de la sensibilité parentale et des relations d’attachement précoces durant les premières années de vie de l’enfant, et l’apparition d’un TDAH chez cet enfant. Elle relève deux types d’attachement insécure particulièrement pertinents dans le TDAH : d’une part l’attachement insécure et d’autre part l’attachement désorganisé contrôlant. Pour cette clinicienne australienne, les symptômes hyperactifs et impulsifs de l’enfant pourraient représenter une adaptation défensive dans un contexte de relations d’attachement insécure.

L’attachement insécure résistant décrit les enfants TDAH qui ont des attitudes ambivalentes à l’égard de la figure maternelle. L’attachement désorganisé contrôlant correspond aux situations où les comportements des enfants s’accompagnent de stratégies parentales désorganisées, manquant de cohérence et chargées de contrôles et de punitions.

Russel BARKLEY a développé récemment une nouvelle conceptualisation du TDAH mettant l’accent sur l’impulsivité et l’autorégulation émotionnelles. Ces éléments sont présents dans l’histoire du développement des dysfonctionnements centraux du concept de TDAH : labilité émotionnelle, excitabilité, faible tolérance aux frustrations. Les théories neuropsychologiques actuelles mettent en évidence l’impact de ces symptômes émotionnels sur certains processus cognitifs, notamment la mémoire de travail. Cet impact se retrouve également dans des données neuroanatomiques et des éléments cliniques chez certains enfants et adultes TDAH, particulièrement les sous-types combinés. Ces notions sont intéressantes pour la compréhension de certains troubles associés, en particulier le trouble oppositionnel avec provocation, mais aussi les difficultés de la vie quotidienne et les problèmes de gestion des frustrations.
Les symptômes d’impulsivité émotionnelle reflètent la rapidité ou la vitesse de réaction d’un sujet avec des émotions négatives à des situations et des évènements par rapport à des personnes ayant le même niveau développemental et qui ne présentent pas de TDAH.

Inversement, l’autorégulation émotionnelle est la capacité d’inhiber des comportements inappropriés liés à des émotions négatives ou positives qui sont la source des émotions impulsives dans le TDAH. Elle recentre aussi l’attention par rapport aux événements émotionnels, et elle organise les émotions pour coordonner les actions au service des objectifs et du bien-être à long terme.

L’attachement est aussi impliqué dans les capacités d’autorégulation et d’autocontrôle. Les processus cognitifs, comme l’attention, l’inhibition, sont certainement associés aux « modèles internes opérants ». Les ponts entre le paradigme de l’attachement et les théories récentes sur les troubles de l’autorégulation émotionnelle et de l’inhibition émotionnelle dans le TDAH paraissent être des pistes intéressantes sur le plan clinique et en recherche.

Vignette clinique

Je rencontre pour la première fois Kevin en janvier 2003 ; il est âgé de sept ans. Le motif de la consultation est d’une part un diagnostic de TDAH depuis deux ans par le pédiatre, traité par methylphenidate à raison de deux fois 5 mg par jour. Un essai a été effectué à 10 mg par jour, mais Kevin devenait alors « amorphe », selon les propos de la mère. Kevin est confronté à une scolarité difficile et a été placé dans une classe spéciale. Il présente des difficultés en langage et des troubles du comportement avec des crises de colère, des bagarres et des attitudes provocantes. Il ne supporte pas les frustrations.

L’anamnèse signale un dysfonctionnement interactif précoce, un tempérament difficile et des difficultés à rester tranquille. Le bébé est qualifié de « tyrannique ». Les parents se séparent alors que Kevin a 3 ans et demi pour des problèmes d’alcoolisme et des comportements violents. Malgré tout, Kevin voit régulièrement son père et y tient beaucoup. L’école maternelle a été « la goutte d’eau qui fait déborder le vase », selon les propos de sa mère, et a déclenché le diagnostic de TDAH par le pédiatre.
L’enseignante indique que Kevin ne supporte pas la frustration, est facilement colérique, tyrannise son entourage, a des attitudes provocantes et est très souvent en conflit avec ses camarades. Il se décourage, mais il progresse dans les apprentissages et peut être agréable « s’il le décide ».
L’investigation confirme le TDAH mixte, une impression clinique de bonne intelligence, une suspicion de trouble du langage écrit, des problèmes comportementaux importants, un état dépressif et une fragilité narcissique, une intolérance aux frustrations et des difficultés d’autorégulation émotionnelle.

Que faire dans cette situation complexe ? Quels sont les axes prioritaires de la prise en charge ?

Dans un premier temps, j’ai inclus le père dans la prise en charge et demandé un bilan orthophonique qui a mis en évidence une dyslexie et une dysorthographie.

Le père, réticent à l’idée de rencontrer un pédopsychiatre, est un marginal sympathique vivant dans une caravane et fuyant les contraintes sociales. Il est très attaché à son fils, mais démuni face à ses problèmes. Il privilégie les moments de détente et de loisir et il a de la peine à poser un cadre éducatif suffisamment strict. Il décède malheureusement à l’automne 2003 d’un accident de parapente.

La prise en charge prend la forme de consultations thérapeutiques en raison de la distance géographique. Elle se focalise sur le début du processus d’élaboration du deuil, les problématiques interpersonnelles et quelques éléments de conflictualité intrapsychique. Le méthylphénidate a une efficacité importante sur l’hyperactivité, l’impulsivité et l’inattention, mais Kevin présente après six mois de traitement des tics moteurs et vocaux importants. Il suit un traitement orthophonique en parallèle. Nous avons alors recouru à la dextroamphétamine, avec des effets cliniques et secondaires identiques. Nous avons convenu de repasser au méthylphénidate à raison de deux fois 5 mg par jour, mais les tics sont réapparus d’abord de manière intermittente, puis plus fréquente. Nous avons alors décidé d’arrêter cette médication en octobre 2006. J’ai proposé d’essayer l’atomoxétine, ce que la mère a refusé, arguant d’un manque de recul sur le médicament.

Kevin rejoint une école spéciale en 2004-2005. Un bilan psychologique (WISC IV) montre une intelligence dans la moyenne, une vitesse de traitement moyen-faible et un fonctionnement de type « état-limite » par rapport aux tests projectifs. C’est un élève intelligent, curieux, avide d’apprendre et de montrer ses compétences. Il continue à suivre un traitement orthophonique.

En 2006, on constate une diminution de son état d’apprendre et, selon l’école, des « difficultés pour répondre aux exigences d’une classe ». Des troubles du comportement réapparaissent, marqués par des provocations, un rôle de leader et des conflits avec certains camarades. Parallèlement, je commence avec Kevin une psychothérapie individuelle, tout d’abord à raison d’une séance par semaine, puis deux fois par semaine. Parmi le matériel clinique des séances figurent la mise en scène de fantasmes de toute puissance et de destructivité, des problématiques de perte d’objets, des problèmes de deuil par rapport à l’imago paternelle, des problématiques d’avidité relationnelle et de fragilité narcissique. Kevin s’investit beaucoup dans le processus de psychothérapie, tout en présentant par intermittence des mouvements d’ambivalence ou des ébauches de réaction thérapeutique négative, suivant les thématiques abordées. Kevin frappe par sa vivacité d’esprit et sa focalisation sur intérêts spécifiques, sa forte réactivité émotionnelle et pulsionnelle, ainsi que des moments de désorganisation psychique avec envahissement de mécanismes de défense de type clivage, omnipotence et identification projective. Kevin se montre très perceptif à percevoir mes mouvements contre-transférentiels.

Après trois ans de psychothérapie, nous avons convenu de la fin des séances en raison de l’augmentation de résistances et parallèlement à l’entrée dans l’adolescence de Kevin. Je reste néanmoins à sa disposition et à celle de sa mère pour des points de situation et en cas de problème. Sur le plan familial, une relation sentimentale de la mère a débouché sur un projet de vie commune ; Kevin accepte relativement bien l’arrivée d’un nouvel homme dans son entourage, tout gardant une certaine distance.
Kevin a malheureusement continué d’être pénalisé à l’école par des interférences liées au TDAH et à la dynamique négative qui s’est instaurée dans le cadre de l’école spéciale. Dans un contexte de contre-attitudes, l’école a proposé à l’automne 2008 une intégration dans un internat pour la rentrée scolaire 2009-2010. La mère a refusé avec mon soutien, en tenant compte de l’importance de maintenir des liens stables et d’éviter des expériences de séparation. Kevin a donc réintégré l’école publique à la rentrée suivante avec des résultats satisfaisants. Mais il était pénalisé par ses lacunes en allemand en raison de son retard dans cette branche. Sa mère a pris alors l’option de le faire intégrer une école privée dans laquelle il a passé ses trois dernières années de scolarité. Ces années d’école lui ont beaucoup apporté grâce à l’investissement d’un professeur qui a pris Kevin sous son aile, l’a soutenu et encouragé en mettant en place une complicité et une communication incroyable avec lui. Kevin pouvait toujours aller se confier auprès de lui. Il a fini sa scolarité avec une moyenne de 4,8 / 6 ce qui pour nous est significatif par rapport à son vécu. L’année scolaire 2011-2012 a néanmoins été plus difficile. Kevin a néanmoins réussi à obtenir un certificat de fin scolarité obligatoire en obtenant une moyenne de 4,8 / 6, ce qui très bien par rapport à son vécu. Le professeur avec lequel il a établi une relation de confiance et de compréhension, ce prof l’a préparé à passer les tests de pré-apprentissage pour trouver un patron. Kevin est sorti parmi les meilleurs candidats du canton, ce qui lui a ouvert les portes pour un brevet fédéral qu’il peut faire en parallèle à son apprentissage de mécatronicien chez un patron qui l’a engagé au vu de la qualité de son stage et de compétences. Conscient de ses difficultés à soutenir un rythme scolaire élevé, Kevin a décidé lui-même de se consacrer d’abord à son apprentissage, de voir ensuite s’il a envie de passer son brevet fédéral. Aux dernières nouvelles, Kevin a des notes au-dessus de la moyenne à l’école professionnelle malgré le fait que sa mère ne le voit pas travailler à la maison. Il s’épanouit vraiment dans son apprentissage et met « plein la vue ». à sa mère et à son beau-père, lorsqu’ils constatent ses connaissances en mécanique ! Depuis le début de son apprentissage, il passe beaucoup de temps à travailler sur des moteurs de modèles réduits de bateau en les transformant.

Kevin a participé en 2010 à une recherche CogMed sur l’impact cérébral de la remédiation cognitive, avec selon la mère des effets positifs sur le plan cognitif, exécutif et surtout de la confiance en soi. Kevin a bénéficié d’un bilan clinique et neuropsychologique, ainsi que d’un coaching individuel qui lui a beaucoup apporté. Les parents ont également participé à des groupes d’apprentissage des habiletés de parents.

Pour conclure, il est nécessaire d’établir une relation de qualité et d’être présent dans la durée pour accompagner des prises en charge à géométrie variable. Il faut sensibiliser l’enfant à son propre fonctionnement et maintenir une bonne qualité de relation avec lui et avec son entourage.

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