L’association

Connaissances en Santé : le rôle des associations de patients en Europe Présentation du projet EPOKS

, par Madeleine Akrich, Vololona Rabeharisoa

EPOKS (European Patients’ Organizations in Knowledge Society) est un projet de recherche européen financé par la Commission Européenne dans le cadre du programme Science In Society. Il a associé cinq équipes en sciences sociales de quatre pays, la France, le Portugal, le Royaume-Uni et l’Irlande, et a été coordonné par le Centre de sociologie de l’innovation de l’Ecole des mines de Paris. Il a démarré en février 2009 et s’est achevé en juin 2012.

Un des volets d’EPOKS concernait le TDAH et plus particulièrement l’association HyperSupers. Dans cet article, nous présentons le contexte du projet et les conclusions générales auxquelles il est parvenu. Dans un autre article, nous résumons les principaux résultats de la recherche en ce qui concerne HyperSupers.

Connaissances et gouvernance des questions de santé : décrire la contribution des associations

Ces vingt dernières années ont vu s’accroître la place prise par les associations de patients et d’usagers dans la production et la diffusion de connaissances sur les problèmes de santé. Des concepts tels que « savoirs profanes » et « savoirs d’expérience » ont été mis en avant par un certain nombre d’analystes pour définir leur contribution :

  • par « savoir profane », il est fait référence aux savoirs détenus par les non-spécialistes, c’est-à-dire dans le cas de la santé, par les patients ou leurs proches ;
  • la notion de « savoir d’expérience » renvoie aux connaissances qui sont issues de l’expérience directe de la maladie.

Ces activités des associations en rapport avec les connaissances impliquent-elles de nouvelles formes d’engagement ? Les savoirs profanes bénéficient-ils d’une considération comparable à celles des savoirs académiques ? Comment les associations contribuent-elles, par l’intermédiaire de leurs savoirs, à la définition de leurs problèmes de santé ? Prennent-elles part aux politiques de recherche ? Leur participation à la gouvernance de la santé repose-t-elle pour partie sur la mobilisation de ces connaissances ? Telles sont quelques-unes des questions que le projet EPOKS s’était donné pour objectif d’investiguer.

Des comparaisons européennes pour mettre nos analyses à l’épreuve

Bien qu’il existe un certain nombre de travaux sur l’implication des associations de patients dans la production des connaissances, il n’y a pas ou peu d’études comparatives à la fois transnationales et s’intéressant à différents problèmes de santé. La démarche d’EPOKS est de ce point de vue originale, puisque nous avons choisi de mener des enquêtes selon une méthodologie similaire dans différents pays européens et sur quatre domaines distincts : les maladies rares, la naissance, la maladie d’Alzheimer et le trouble déficit d’attention/hyperactivité.

Ces quatre sujets ont été choisis en considérant deux critères qui nous ont paru susceptibles d’influer sur les rapports des associations aux connaissances :

  • la proximité des associations vis-à-vis du monde biomédical, de ses savoirs et pratiques : les associations « maladies rares » recherchent activement la coopération des médecins, c’est aussi plutôt le cas des associations sur la maladie d’Alzheimer, alors que les associations autour de la naissance sont plutôt dans une position de contestation des formes de médicalisation existantes, et que les associations TDAH, bien qu’elles soient plutôt favorables à une intervention médicale, n’ont pas forcément une position alignée sur celle des médecins ;
  • le degré de stabilisation des connaissances et des problèmes à traiter : alors qu’il y a grosso modo accord à l’intérieur du monde médical et avec les associations sur ce point en ce qui concerne la naissance et les maladies rares, les controverses et les incertitudes sont légion pour le TDAH et, dans une moindre mesure, pour la maladie d’Alzheimer.

Une dynamique d’européanisation

EPOKS s’est aussi intéressé à un phénomène important mais qui a été peu étudié, à savoir la multiplication de coalitions européennes dans le domaine de la santé. Nous souhaitions comprendre le rôle joué par ces coalitions dans la promotion de certains modes de gouvernance des questions de santé et voir dans quelle mesure elles influent sur les activités des associations nationales et réciproquement. Sont-elles capables notamment de mettre à disposition des associations nationales des ressources qui accroissent leurs capacités d’action sur les politiques de recherche et sur l’organisation des soins ?

Le déroulement du projet

Sur chacun des cas étudiés, nous avons mené une enquête similaire basée sur l’analyse de la documentation disponible (site web, archives, publications…), sur des entretiens avec certains membres de l’association, et sur des observations menées lors de conférences ou de réunions organisées par l’association. Chaque cas a donné lieu à la rédaction d’une monographie.

Dans un second temps, nous avons comparé les résultats de nos enquêtes, domaine par domaine, puis ensuite de manière transverse. Des articles ont été rédigés sur chacun des domaines, ainsi qu’une synthèse.

Les résultats ont été présentés et discutés lors d’une conférence qui a réuni en septembre 2011 une cinquantaine de participants, pour une part importante des représentants des associations étudiées dont Christine Gétin.

« Evidence-based activism » ou une mobilisation associative basée sur la connaissance ?

Notre travail nous a conduit à mettre en avant le concept d’ « evidence-based activism » qui essaie de rendre compte du rôle des connaissances dans la manière dont, aujourd’hui, un grand nombre d’associations développent leurs activités « politiques ». Bien que les associations étudiées soient assez différentes, l’hypothèse selon laquelle elles se distingueraient du point de vue de leur rapport aux connaissances s’est avérée en partie invalidée : l’importance et la centralité du travail autour des connaissances dans leur fonctionnement nous a conduits à élaborer ce concept qui rend compte de la similitude de nos observations.

Au travers de ce concept, nous voulons faire passer l’idée que les connaissances ne sont pas seulement une ressource sur laquelle les associations s’appuieraient mais sont au cœur de leurs activités, dans le sens où celles-ci visent à comprendre et à faire comprendre ce qu’est la situation des personnes concernées par telle ou telle question de santé, et à en spécifier les causes.

Recherche qui se nourrit d’un travail incessant de collecte, appropriation, discussion, production de connaissances.

Les associations qui s’engagent dans une forme d’ « evidence-based activism » présentent un certain nombre de caractéristiques :

  • elles s’invitent dans le monde médical avec lequel elles entretiennent des échanges continus afin de le transformer. Elles travaillent à la spécification des problèmes rencontrés par les personnes concernées et à l’élaboration de solutions concrètes. Et dans ce travail de spécification, l’investissement dans des activités de connaissance joue un rôle crucial et leur permet de prendre part à la discussion aux côtés des spécialistes et des décideurs ;
  • elles recueillent et confrontent des savoirs académiques et des savoirs issus de l’expérience pour être capables d’analyser la situation des personnes concernées, leur permettre de lui donner un sens et la rendre accessible et compréhensible au monde extérieur, notamment aux professionnels. L’articulation entre ces deux types de savoir est de la première importance : pour assurer la communication entre le monde du patient et celui du médecin, il faut être capable de traduire l’expérience des patients dans le langage de la science et de la médecine et vice-versa. C’est aussi de cette manière qu’elles sont conduites à identifier des problèmes sur lesquels les donnés de la science font défaut, des questions auxquelles les patients sont confrontés et qui n’intéressent pas les chercheurs.
  • elles développent des relations variées avec divers experts : elles les invitent à leur conseil scientifique, leur demandent de faire des conférences pour leurs membres ou de valider l’information distribuée aux patients. Mais elles peuvent aussi les soutenir dans leurs efforts de recherche, voire commanditer une étude particulière et même collaborer directement avec les équipes. Elles peuvent enfin réfléchir avec eux aux politiques de santé à développer.
  • Ces investigations peuvent les conduire à repérer des similitudes entre leur problème spécifique et celui d’autres associations, et du coup, les amener sur certaines questions à nouer des alliances avec ces associations : le mouvement qui les conduit à être de plus en plus spécifiques sur leur problème peut aussi déboucher sur la découverte de préoccupations partagées avec d’autres et pour lesquelles les solutions envisagées peuvent avoir des effets de portée plus générale sur les politiques de recherche comme sur les politiques de soin.

L’émergence de notions comme « handicap cognitif » ou « handicap rare », la création d’une fondation de recherche sur un objet transverse comme le cerveau sont autant d’exemples de ces formes de généralisation.

P.-S.

Publications des auteurs sur ce sujet :

Akrich Madeleine et Rabeharisoa Vololona, « L’expertise profane dans les associations de patients, un outil de démocratie sanitaire », Santé Publique, 2012/1 Vol. 24, p. 69-74.

Rabeharisoa V. Un nouveau modèle de relation entre les malades et la recherche médicale. NSS 2001 ;9:27-35.

Rabeharisoa V, Callon M, Paterson F, Vergnaud F. Mapping and Analyzing Patient Organization Movements on Rare Diseases. Rapport Convention ANR-05-061-01 ; 2008:169 p.

Akrich M. From communities of Practice to Epistemic Communities : Health Mobilizations on the Internet. Sociol. Res. Online 2010 ;15(2) ; http://www.socresonline.org.uk/15/2/10.html

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