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« Désidéologiser ? »

Des psychotropes pour traiter la souffrance d’être stigmatisé ? Réponse au figaro « Hyperactivité : faut-il prescrire des psychotropes ? »

, par HyperSupers

Je suis adulte, j’ai une vie très normale, 32 ans, une stabilité affective et financière, marié, aimant et fidèle et père épanoui de 3 magnifiques enfants. Portrait banal d’une vie française heureuse et qui à l’air très banale, et je suis hyperactif – Je vais utiliser ce terme puisque cela semble être la pierre d’achoppement journalistique.

Aujourd’hui, à 32 ans, malgré la possibilité d’une hyperactivité qui s’arrête à la fin de l’adolescence (la belle histoire), je fais partie de tous ces adultes qui grâce à ce genre d’article, subissent les regards désapprobateurs dans les pharmacies tous les 28 jours, subissent des contrôles de la sécurité sociale qui doute que nous puissions avoir un effet bénéfique à prendre des psychostimulants ; quand elle ne nous soupçonne pas d’être des trafiquants de stupéfiants.

soupçonner : Avoir, concernant, une présomption désavantageuse, mais incertaine et mêlée de doute. Former une simple conjecture

Je pourrais vous en vouloir, exprimer tout l’impulsivité d’un hyperactif. Ca ne servirait à rien.

Aujourd’hui, grâce à des gens qui ont su s’affirmer dans des positions non consensuelles et constructives, j’ai une vie aussi normale que la votre. Vous m’excuserez d’avoir pris l’exécrable habitude ne plus tenir compte de l’avis des autres pour être heureux, et de faire de sans votre approbation ; et nous c’est parce que nous sommes nombreux à être dans cette situation. En outre, il s’agit plus ou moins de votre jacquerie qui n’a de finalité que de vous rassurer en stigmatisant des sujets dont votre perception est extrêmement sommaire et scolaire. Peut être même une pointe de poujadisme moderne contre les progrès de la psychiatrie à bien y regarder ?

« Peu d’être sont capables d’exprimer posément une opinion différente des préjugés de leur milieu. La plupart des êtres sont mêmes incapables d’arriver à formuler de telles opinions. » - Albert Einstein

Drolatique, c’est le nombre de personnes de mon entourage qui prennent des antidépresseurs sur des périodes tellement longues que le sevrage devient presque impossible, des benzodiazépines pour dormir ou pour passer la journée. Avec des ordonnances renouvelables.

Quand moi, mon pharmacien compte mes cachets l’œil suspicieux - qu’évidemment le laboratoire vend par 30 avec une délivrance maximum de 28.
Quand il ne s’agit pas de thérapies qui malgré les milliers voir les dizaines de milliers d’euro n’ont abouti à rien.

C’est tellement fun de prendre des médicaments tous les jours !
Quasiment autant que d’essayer de faire le lien entre une temporalité différente et une perversion sexuelle qui concernerait mes parents ou mon agenda de collégien devenu un archétype jungien.

Malheureusement - ou heureusement ces produits installés dans nos habitudes de consommation ne m’aident pas - Pire ; ils me font du mal.

Un médecin n’étant pas nécessairement qualifié en physique ; je ne compte plus la légion de savants docteurs en médecine qui m’ont expliqué la nécessité d’appuyer sur le frein quand ça va trop vite. Et même si depuis de nombreux examens ont prouvé que le bon sens de ce raisonnement était pourtant une monumentale erreur de connaissance de la neurochimie, pendant ce temps, la médecine qui sédate est drapée dans sa dignité, frappée du saut de la reconnaissance et assise dans ses dogmes et quand elle ne peut plus rien, tel Ponce Pilate, elle vous laisse le choix entre la psychanalyse et l’oublie, renonçant à exercer une autorité sur vous dont elle a pourtant largement abusé jusqu’au constat de son échec - Elle décide alors de s’en laver les mains. Celle qui ose stimuler est frappée du saut de la dangerosité et du charlatanisme – et pour l’histoire récente, de bien pire pratiques qui portent atteinte jusqu’à la personne. A se demander si ce n’est pas plutôt l’égo de certains médecins qui sont meurtris d’en voir d’autres trouver une solution à leurs échecs.

« On ne saurait stigmatiser par trop d’expressions le vice de ces hommes souples et trompeurs toujours prêts à parler comme vous le voulez, non comme la vérité l’exige. » - Ciceron

Pas plus que je ne prends d’antibiotiques, je ne suis allé que deux fois aux urgences dans ma vie (fracture et méningite) et je ne me suis jamais fait remboursé mes certificats médicaux d’aptitude à la pratique d’un sport – par principe. Je prends des génériques si je dois prendre des médicaments, et dans la mesure du possible je restitue les médicaments que je n’utilise pas. Je cotise, je paye mes impôts aussi. Sauf que mon trouble (parmi d’autres) grâce à de superbes idées reçues fait de moi l’objet d’une suspicion permanente de tous, et je ne compte plus le nombre de personnes qui n’ont aucune connaissance précise du sujet qui s’invitent au débat, comme si c’était nécessaire et surtout…utile ?

Ce qui m’aide, c’est un spécialiste formé, un généraliste qui a fait l’effort de comprendre et qui a compris certaines choses. Un suivi du sommeil, un suivi de mon impulsivité, des thérapies et éventuellement un médicament. Et pour trouver le bon dosage, cela peut prendre des mois. Gérer les effets rebonds, gérer la fatigue, gérer des prises différées, gérer des fenêtres thérapeutiques, gérer parfois la simple morosité de ne plus vouloir prendre un médicament pour ressembler à tous ceux qui veulent vous refuser jusqu’au droit d’être soigné parce qu’ils sont convaincu de la supériorité intellectuelle et l’omniscience qui les habite qui ex-nihilo leur fait croire que ce qui est différent n’a pas le droit d’exister – Oui c’est franchement déprimant certains jours de se dire que c’est le prix à payer pour être « normal ». Parce que vous moldus, la seule chose qui vous habite de mon point de vue, c’est un sentiment de supériorité vous arrogeant d’être les juges du monde entier - Qui aux dernières nouvelles ressemble à tout sauf au meilleur des mondes. Wake up buddy !

« Conjecturer et savoir exactement sont choses différentes » - Eschyle.

C’est plus simple de croire qu’un enfant hyperactif, c’est un enfant mal élevé, qu’un enfant en échec, c’est un fainéant, qu’un impulsif c’est un fou, que la procrastination, c’est une question de volonté, que la désorganisation c’est de la paresse et du manque de rigueur, que de se retenir de bouger c’est une absence de volonté. Je me souviens de cette phrase que m’avait doctement sortie ce professeur d’allemand car deux heures consécutives m’étaient insupportable : « Wer will der kann ».

Qui veut peut. La recette magique ! Comme quoi, jusque dans les expressions populaires, nous sommes vraiment gênants.

C’est effectivement toujours plus simple d’être le juge et de croire dans la bonne morale populaire que de comprendre et d’objectiver.

« On souhaite la paresse d’un méchant et le silence d’un sot. » - Chamfort

Vous ne pouvez pas imaginer la joie de chaque instant de subir constamment les assauts de tous depuis l’école primaire, de subir la méchanceté édifiante du prof qui ne trouve plus suffisamment de vinaigre pour aigrir son mot, plus de raccourcis pour le rendre plus cinglant.

Et bien évidemment tout est de ma faute, et comme ils l’ont dit à mes parents, que tout était de ma faute, mais aussi de leur responsabilité, ma vie familiale était un bonheur de chaque instant. C’est simple, nous sommes tellement heureux ensemble que mes enfants, grâce à vous tous finalement, merci, n’ont jamais connu leurs grands-parents.

Vous jugez l’usage d’un produit soit, mais ce que vous jugez et vous reniez avant tout c’est la souffrance d’être différent et de devoir le garder pour soi, car si il existe bien un concept aujourd’hui qui ne sert que de cache misère au mensonge collectif, c’est celui de la tolérance. Car au delà des études, des risques de dé-socialisation, de l’accidentologie, au delà même des guerres de chapelles médicales, ce que vous dédaignez ce sont des enfants qui grandissent en connaissant la vraie solitude et sa souffrance : le non-dit, l’isolement moral, la culpabilité, la destruction des tissus familiaux, la promesse d’un avenir flou et la marginalisation.

« Il est effrayant de penser que cette chose qu’on a en soi, le jugement, n’est pas la justice. Le jugement, c’est le relatif. La justice, c’est l’absolu. Réfléchissez à la différence entre un juge et juste. » - Hugo

Que pouvez-vous juger d’une enfance brisée ? De se construire malgré la désapprobation permanente de tous, quel que soit le sujet ? De craindre pour ses enfants que l’hérédité se confirme ? De sentir son estime de soi voler en éclat à chaque fois que nous sommes confrontés à vous ?

Comme si cela n’était pas suffisant, nous devons régulièrement (c’est-à-dire nous les « hyperactifs ») lire ces hors sujets, où une fois de plus, nous sommes les idiots qui supportons une pilule sans en avoir mesuré les conséquences – et nous ne cherchons rien d’autre, et ça vous l’avez compris, et vous l’avez compris sans savoir ce qu’était l’hyperactivité, et c’est très bien, vous avez réussi à sédater jusqu’à l’intelligence avec vos conjectures malheureuses. Heureusement, la bonne morale collective - pas celle qui nous a exclu : l’autre ! - va nous permettre d’échapper au risque. !

L’école, ce n’est pas l’endroit ou démarrent les difficultés, c’est l’endroit où les gens comme vous commencent à se moquer de la différence, à l’écraser, à en faire l’anathème, à faire de nous un problème. Ce que vous faites surtout c’est vous dédouaner ! Ah ça non, ce n’est pas votre faute ! Mais pas plus que ça n’est notre choix. Je ne suis pas ainsi animé par la simple envie de traumatiser le petit fleuve pas si tranquille que sont vos existences.

« Qu’est-ce que le héros tragique ? C’est un être particulièrement résigné à la cohabitation avec toutes les formes et tous les monstres de la fatalité. » - Jean Giraudoux

Mais il ne faut pas s’arrêter là ! Il faut continuer de fermer les yeux ! Plutôt que de prendre en charge et d’accepter la différence, on cherche à normaliser. A rentrer dans le rang. Je ne compte plus les fois où on m’a dit « vous devenez normal ». La belle affaire. De notre vue d’hyperactifs, votre vie n’est pas passionnante. Mais nous sommes ceux qui n’ont pas compris.

C’est certain qu’enfant de dix ans qui subit les assauts constant d’une foule d’adultes est forcément le monstre. Soyons lucides, c’est lui le héros tragique, car il vivra. Il représentera la possibilité d’une ile, le combat pour le droit à la différence.

« Ne parlez pas d’esprits différents des nôtres ; dites seulement qu’ils ignorent ce que nous avons appris. » - Bergson

Et là encore, quand nous faisons toute la route vers vous, c’est-à-dire porter notre croix jusqu’au sommet sous les injures et les quolibets des gens normaux – qui eux ne sont que morale et vertu, c’est bien connu ! – vous nous attendez en haut avec vos maillets et vos clous pour nous crucifier ; là encore ; pour notre bien - évidemment.

Et nous sommes crucifiés tous les jours au nom de l’audience, du sensationnel, du carriérisme, de la normopathie, des bonnes consciences, des débats de foire, des egos de médecins. Nous sommes vos sorcières de ce siècle. De la même façon que chaque jour des gens payés pour faire de l’audience afin de vendre des espaces publicitaires s’indignent sur le principe que d’autre commanditent des études pour vendre de la santé. Bien avant moi et bien après moi, l’industrie pharmaceutique est une industrie qui à l’heure du libéralisme se contente de suivre de façon moutonnière la science de l’entreprise distillée au plus grand nombre aujourd’hui : vendre, réduire les coûts et faire de la marge. Cachez se sein que nous ne saurions voir, mais conservons l’obscénité bourgeoise de juger.

« Il y a des gens qui, à propos de certains problèmes, font preuve d’une grande tolérance. C’est souvent parce qu’ils s’en foutent. » - Mark Twain

Au nom de quoi cette crucifixion ? Pour avoir tenté par tous les moyens possibles, dont l’un est un traitement allopathique, d’être comme vous ? Pour avoir toujours parcouru la route seule. Pour toujours avoir fait ce qu’il faut pour s’adapter ?

Pour le simple fait d’avoir un trouble que je n’ai pas souhaité, que je n’ai pas choisi, qui handicape tous les jours, tout ce que j’entreprends est constamment annihilé ou tiré vers le bas par ce genre de brève de comptoir.

Pourtant aujourd’hui je me sens heureux et je vis bien mon hyperactivité.

Et si ça ne vous convient pas : tant pis, c’est votre problème, pas le mien. Et c’est surtout depuis que j’ai compris ça que je le vis mieux.

C’est votre cauchemar, ce sont vos avis, vos préjugés, vos présomptions, vos problèmes, votre vécu.

Aujourd’hui, je souffre pour vous tous du peu d’humanité que semble conférer la normalité. La seule chose que vous puissiez exprimer correctement c’est votre capacité permanente d’avoir peur. De tout, pour rien. Vous pouvez aussi en créer de nouvelles, et ainsi vous perdre dans des débats sans fin ou vous pourrez les nourrir et les partager à l’infini en vous dédouanant farouchement, abrités des conséquences derrière des disclaimers et des procédures.

« Juger, c’est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l’on comprenait, on ne pourrait pas juger. » - Malraux


Frédéric.

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