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Nutrition et cerveau Pr Olivier COUDRON

, par Pr Olivier COUDRON

Nutrition et cerveau

Pr Olivier COUDRON

Professeur associé en pharmacologie clinique université de Bourgogne, responsable pédagogique des diplômes universitaire de Nutrition santé

La vie s’exprime par son code génétique. Elle existe depuis les débuts de notre planète, et se développe grâce à l’environnement, notamment l’environnement nutritionnel : le génome a besoin de micronutriments, d’oligo-éléments, de masses d’ADN, de facteurs organiques ou de zinc pour se restaurer et se développer. Ce qui est vrai pour la vie unicellulaire l’est aussi pour les plantes, les animaux et pour l’homme.

L’histoire de l’alimentation a été pendant 300 000 à 400 000 ans marquée par la bonne entente et d’harmonie : L’homme du paléolithique mange en fonction de la saison et de la nature, sans se poser de questions, conformément à ses besoins. Nous sommes devenus paysans il y a 6000 ans : le néolithique s’est caractérisé par une variation de l’offre alimentaire avec l’introduction des céréales, des produits laitiers et de l’élevage. Dans les années 1950 environ ont été découvertes des technologies qui se sont éloignées des besoins cellulaires : on a offert à la population des aliments dont nos cellules et notre code génétique n’ont absolument pas besoin, et dont on mesure seulement maintenant l’impact sur l’état de santé. Nous sommes passés d’une agriculture paysanne à un mode de production intensif. On a introduit des entrants (pesticides, herbicides) et des modifications de structure comme les OGM. Les modes alimentaires ont changé, avec l’apparition du fast food ou plutôt du « néfaste food ». Nous ne sommes plus chasseurs-cueilleurs, mais consommateurs : les linéaires des grandes surfaces proposent autant de bonbons et de gâteaux que de fruits et légumes.

L’impact de ces évolutions est considérable et incontesté : on estime à 35 % la part des cancers liés à la nutrition – 50 % des cancers du sein, 70 % des cancers de la prostate. Ces chiffres sont inacceptables. L’impact se manifeste aussi sous la forme des maladies cardiovasculaires, du vieillissement cérébral, du diabète, du surpoids et de l’obésité, mais aussi de troubles de l’humeur – dépression, burnout – et probablement de l’hyperactivité.

Une étude pionnière a montré que l’impact des différents modèles alimentaires sur la mortalité coronarienne. Les Etats-Unis et la Finlande, champions du monde de la mortalité cardiaque, présentaient un taux de mortalité cardiovasculaire de plus de 500 pour 10.000 habitants/an . Le régime méditerranéen n’entraîne que 180 morts pour dix mille. Le régime crétois ne compte que 9 morts par maladie cardiaque pour 10.000 habitants ; il se caractérise par une part plus importante du gras, mais une consommation bien moindre de viande, et beaucoup plus importante de végétaux et de légumes. En réaction, la Finlande a décidé de mener une politique nutritionnelle audacieuse : elle a développé l’agriculture à vocation santé, par exemple en faisant manger de l’herbe aux vaches. Les Finlandais ont été incités à manger davantage de fruits et de légumes : les hypertendus ont dû changer leur alimentation pendant six mois, à peine de ne plus être remboursés de leurs antihypertenseurs. Il en est résulté une baisse de 50 % de cancers en moins en vingt ans, alors que ceux-ci croissaient de 87 % en Europe dans le même temps. Parallèlement, le taux d’infarctus s’est réduit de 60 % en Finlande, soit une performance bien supérieure à n’importe quel médicament.

Pour comprendre ce que peut être une « neuro-nutrition », il faut comprendre le fonctionnement du cerveau. Ce dernier est l’un des organes du corps humain qui consomme le plus d’énergie. Il consomme en permanence du glucose, qui représente 25 % de la consommation totale et joue un rôle fondamental dans l’activité cognitive. Le cerveau est par ailleurs principalement composé de graisse, en particulier pour les membranes qui assurent les neurotransmissions. La graisse la plus représentée dans le cerveau est un oméga 3, présent notamment dans les poissons gras : la consommation de poisson gras est inversement corrélée à la dépression, la dépression post-partum ou la psychose maniaco-dépressive. Les recommandations ont donc été révisées en 2010 pour viser 35 % à 45 % de gras dans l’assiette, dont 200 à 300 mg d’EPA-DHA et 500mg à 700mg d’oméga 3. Nous en sommes en moyenne très loin.

Le cerveau a également besoin de protéines et plus exactement du bon ratio entre protéines et sucres : les protéines servent à fabriquer les neurotransmetteurs et en particulier la dopamine. Il faut également des vitamines, notamment des folates, ainsi que des minéraux : le premier micronutriment du cerveau est le fer, qui intervient dans la biosynthèse et la fabrication des neurotransmetteurs. De même, le magnésium est l’alimentation de la cellule nerveuse. Nous avons également besoin de protecteurs contre l’oxydation : c’est le rôle des polyphénols et des antioxydants. Tous ces éléments sont indispensables pour favoriser la biosynthèse des neurotransmetteurs. Des études chez l’animal montrent que des carences ou déficits dans l’un des micronutriments cités précédemment entraînent des troubles neuropsychiatriques ou cognitifs. Réintroduire dans l’alimentation de l’animal l’élément dont il manquait entraîne une restauration de la fonction, sans intervention pharmacologique.

On sait aujourd’hui que les mécanismes de la Neuro-Nutrition sont impliqués dans le fonctionnement des neurotransmetteurs, notamment la dopamine et la noradrénaline. Un dysfonctionnement de la chaîne de fabrication de la dopamine débouche sur différents syndromes, dont le TDAH. Cette chaîne de production peut être stimulée par la pharmacologie, avec les agonistes de la dopamine et les inhibiteurs de la recapture de la dopamine. La nutrition présente également des solutions très intéressantes, sous la forme d’un apport suffisant de protéines au petit-déjeuner. On peut enfin utiliser des compléments alimentaires, par exemple des gélules de tyrosine, au début d’un traitement, avant que les conseils alimentaires ne soient mis en place. Toutefois cette supplémentation en L.Tyrosine ne doit pas se substituer à la recherche d’un équilibre nutritionnel via une alimentation adaptée et optimale. De plus isolément, la tyrosine ne semble que très peu efficace en l’absence d’un apport de micronutriments et cofacteurs essentiels tels que le fer par exemple.

La sérotonine est impliquée surtout chez les enfants TDAH, qui sont beaucoup plus oppositionnels que les autres : c’est la molécule du calme et de la sérénité. Une carence en sérotonine s’explique d’abord par les états inflammatoires de bas grade, dont souffrent beaucoup d’enfants TDAH : ils empêchent le tryptophane de fabriquer la molécule et développer les molécules de type interféron-gamma et TNF-alpha. On devient alors irritable, impulsif, intolérant. Le taux de sérotonine est restauré par l’apport des protéines au petit-déjeuner et au contraire l’absence de protéines le soir, remplacées par des fruits, des légumes et des légumes secs. On peut également donner des compléments alimentaires, notamment du fer et le précurseur c’est-à-dire l’acide aminé L. TryptophaneL’écosystème intestinal constitue notre deuxième cerveau : il est aussi important dans la vie psychique que le cerveau. Il est composé d’une microflore de bactéries, d’une muqueuse et d’un système immunitaire qui dialoguent avec le cerveau. Un trouble intestinal et notamment un état inflammatoire peut avoir des répercussions sur l’activité cérébrale.

Les dysfonctionnements du cerveau se déterminent dès la grossesse : un déficit en iode ou en folates chez la mère pendant la grossesse est associé à des troubles de l’attention plus importants. En revanche, l’épigénétique montre que tout se rejoue chaque jour. Il suffit d’éviter la « malbouffe » et les toxiques, rechercher une meilleure densité micronutritionnelle, adopter un bon rythme veille-sommeil, une bonne gestion du stress et de la psychologie. On peut stimuler la dopamine par des apports suffisants en fer, quand cela s’avère nécessaire.

Des études montrent un lien entre le zinc et le trouble déficit de l’attention : les enfants TDAH présentent des déficits en zinc plus importants que les enfants non atteints de TDAH. L’apport de zinc sous forme de compléments alimentaires à des enfants TDAH permet d’améliorer la situation de certains enfants. Enfin, administrer du zinc en complément d’un traitement de méthylphénidate permet d’amplifier la réponse thérapeutique au méthylphénidate.

Les études restent encore à faire pour confirmer l’intérêt de l’iode. Quelques études confirment que les enfants TDAH ont souvent des dosages en magnésium plus bas que ceux qui ne sont pas atteints de ce trouble. La correction de ce déficit permet d’améliorer certains symptômes, mais l’impact reste limité hors troubles anxieux.

Des études anciennes montrent que l’apport d’huiles de poisson en gélule chez des enfants atteints de dyscalculie, de dysorthographie ou de TDAH entraîne une restauration très rapide, en six mois, par rapport aux enfants sous placebo. D’autres études montrent que tous les symptômes liés au TDAH se sont améliorés contre placebo. Une étude plus récente auprès d’enfants ayant des troubles de la mémorisation ou de l’apprentissage à l’école, mais sans diagnostic TDAH, montre que ceux ayant les plus mauvaise scores à l’école bénéficiaient des meilleurs résultats contre placebo : la prise d’oméga 3 par des personnes qui en manquent entraîne une amélioration. On trouve ces oméga 3 dans les produits animaux, de la mer ou terrestres (œufs, viandes d’animaux nourris au lin), dans l’huile de colza ou l’huile de noix.

L’institut SIIN travaille beaucoup sur l’éducation des cliniques, des chefs cuisiniers et des cantines, afin de mettre en place des « repas santé », comprenant des oméga 3, beaucoup d’apports de zinc, de fer, de micronutriments et de magnésium. Ces repas présentent un meilleur équilibre dans l’assiette entre viande et légumes : on n’a pas besoin de manger de viande tous les jours. Enfin, cette alimentation est durable et respectueuse des saisons – elle n’est pas nécessairement « bio ». Elle respecte un certain rythme : il faut faire manger aux enfants des protéines au petit déjeuner et leur donner un goûter avec de vrais fruits.
Prenons l’exemple de Nathan. Son bilan BrainScreen, qui évalue l’activité des neurotransmetteurs dans les urines, révèle un trouble de la dopamine, un déficit en oméga 3 EPA, de fer et de zinc, ainsi qu’un état inflammatoire de bas grade. Nous avons corrigé son déficit en donnant du fer et du zinc.
Chloé est âgée de dix ans, beaucoup plus impulsive et oppositionnelle ; elle se plaint également de douleurs abdominales. Son bilan est différent. Malgré son traitement sous méthylphénidate, elle présente encore un manque d’activité dopaminergique encore franc. Elle n’est pas carencée en fer, mais montre une inflammation et un manque d’oméga 3 et de sérotonine, expliquant son caractère irritable et impulsif. Son traitement et sa prise en charge nutritionnelle ont donc été un peu différents de ceux de Nathan.

Notre approche diagnostique est fondée sur un équilibre nutritionnel personnalisé, une nutrition raisonnée qui cherche à éduquer le parent et l’enfant pour aller vers une alimentation-santé durable, complémentée avec des oligoéléments, du fer, du magnésium, du zinc, de l’iode ou des oméga 3 pendant quelques mois plus nécessaires, une prise en charge pluridisciplinaire en collaboration avec des confrères, notamment psychologues et un suivi clinique. Je ne suis qu’une petite pièce du puzzle.

De la salle

Que pensez-vous des différents régimes existants ?

Olivier COUDRON

De premières hypothèses sur les enfants TDAH portaient sur un manque de glucides et d’hypoglycémie ; elles se sont révélées inexactes. Le régime Feingold, lié aux phosphates, a été totalement dévalué par l’Afssa. J’ai cru au régime Reichelt sans gluten et sans lait, mais je me suis ravisé : un tel régime est très compliqué et exclusif, alors que les résultats cliniques ne sont pas au rendez-vous. Les intolérances au gluten et aux produits laitiers existent bien et sont plus nombreuses qu’on ne le croit, mais le problème réel porte sur le déficit en certains micronutriments et acides gras essentiels, ainsi que sur les états inflammatoires. Se posent également, dans une envergure moindre, des problèmes de colorants alimentaires et de contaminants.

De la salle

Vous avez évoqué un « BrainScreen ». Cet examen est-il courant en ville ?

Olivier COUDRON

Non, les dosages nutritionnel et fonctionnel sont chers et ne sont pas pris en charge par l’Assurance Maladie.
De la salle
Qu’en est-il du dosage en zinc et en oligoéléments ?

Olivier COUDRON

Le dosage de ferritine est remboursé ; tous les médecins devraient savoir le faire. Il en va de même du dosage de la vitamine D ou de l’iode. En revanche, le dosage du zinc et des acides gras ne sont pas remboursés.

Le même intervenant

Une étude américaine récente montre l’inefficacité totale des oméga 3 dans la prévention cardiovasculaire.

Olivier COUDRON

L’AFP a effectivement fait état d’une étude américaine récente portant sur 70 000 patients. En réalité, les auteurs appartiennent à un hôpital grec de 300 lits. Il s’agit en fait d’une méta-analyse : les auteurs ont choisi vingt études sur vingt ans, sélectionnées parmi 600 études cliniques. Les auteurs ont étudié l’impact sur les maladies cardiovasculaires de patients prenant des statines, des antiagrégants plaquettaires et des IEC. Il est difficile dans ces conditions de conclure à une différence de mortalité liée la prise d’huiles de poisson en gélules, par ailleurs moins efficaces que le poisson nature. L’un des deux auteurs n’a publié que dix articles scientifiques au cours de sa carrière, dont aucun sur la nutrition ; le deuxième auteur, plus connu, compte 70 articles publiés, toutes sur les statines. Pour conclure, je doute fortement de la pertinence de cette étude, qui ne remet pas en question les 300 000 ans d’histoire de l’homme qui a mangé des oméga 3 en bonne santé.

Une personne dans la salle

Le Programme national nutrition-santé recommande de manger varié et équilibré, ni trop gras, ni trop sucré, ni trop salé : une telle alimentation est suffisante. Une carence doit évidemment être corrigée, mais cette compensation n’est pas évidente : tout ce qu’on ingère n’est pas forcément métabolisé. L’important est d’atteindre un équilibre global : apports alimentaires diversifiés, dépense physique, sommeil suffisant.

De la salle

Je suis ici comme parent. J’ai appris beaucoup d’informations intéressantes au cours de la journée. Je souhaiterais revenir sur le BrainScreen, qui fournit des données précises sur ce dont nos enfants peuvent manquer. Comment obtenir cet examen ?

Olivier COUDRON

La biologie nutritionnelle n’est pas encore très développée, sauf sur certains points : on sait par exemple que 80 % des individus ont un déficit en vitamine D, qui joue un rôle très important dans la santé. On a également conscience du rôle du fer et de l’ampleur des carences dans la population : il est parfois nécessaire de recourir à des suppléments. Il est possible assez facilement de faire des bilans d’éléments précis, remboursables et accessibles. Différents laboratoires en France et en Europe proposent le BrainScreen, mais il relève d’une approche nutritionnelle et de spécialistes.

Le même intervenante

Faut-il se tourner vers un nutritionniste ?

Olivier COUDRON

Nous formons une centaine de médecins chaque année à Dijon, ce qui reste très peu. D’autres médecins sont formés à l’approche de nutrition-santé : il peut s’agir de nutritionnistes ou d’autres spécialistes, en fonction du parcours de chacun.

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